Diarrhée verbale et impérialisme américain
Article rédigé par Hisham Ben Khamsa, organisateur de Views of America
Lundi 13 Décembre 2010 à 19h30, je sors des locaux de la télévision où je viens de parler d’un premier bilan de Views of America, 3èmes Rencontres du Cinéma Indépendant Américain de Tunis que j’ai organisé du 9 au 12 Décembre derniers. Je reçois un coup de fil d’une amie journaliste, connue pour sa connaissance du cinéma, sa plume acérée et sa verve qui en en a touché plus d’un.
Elle me demande si j’ai lu sur Facebook, un article à propos de Views of America et qui n’est pas particulièrement tendre. Fidèle à mes habitudes de flemmard libéral, je lui réponds que dans la multitude de bons articles des dernières journées, il n’y avait pas de quoi faire un plat et qu’une appréciation un peu plus sévère que les autres ne pouvait que me faire du bien. Mais mon amie a insisté pour que je lise l’article, arguant du fait qu’il était important d’être au courant quand quelqu’un parle de vous et que de toutes les façons, elle m’a envoyé le lien.
À la première occasion qui se présente, je vais sur Facebook pour lire le fameux article signé par un certain Ismaël et là, je dois avouer que je le trouve surprenant. Assez amusant aussi mais très surprenant. Le titre même de l’article ; « views of america, wikileaks et sakhr el materi : UNE VISION FLOUE DU CINEMA INDEPENDANT AMERICAIN », est une indication de ce qui va suivre, c'est-à-dire un mélange des genres confus et superficiels dont la seule raison d’être semble être la volonté de l’auteur de se faire mousser et de croire à sa propre importance.
Le premier paragraphe commence d’une manière plutôt solennelle à expliquer que dans les câbles diplomatiques envoyés par « l’Ambassadeurs des USA et divulgué par Wikileaks, celui-ci cite la création d’un festival du cinéma américain, parmi les actions menées pour consolider la coopération et les liens culturels entre les deux pays ». Jusque là, rien de transcendant. Il continue ensuite pour dire, « Ce festival, qui n’en est pas vraiment un mais une sorte de manifestation annuelle, c’est Views Of America : Rencontres du cinéma indépendant américain de Tunis, qui en est en cette fin de 2010 à sa troisième édition. Trois années, deux éditions (la troisième commence à partir de demain) et l’on n’arrive pas encore à avoir une idée claire et précise ni vis-à-vis de la manifestation elle-même ni vis-à-vis du cinéma indépendant américain tant ces Views Of America sont brouillonnes, confuses et fourre-tout au niveau des intentions, de la communication, de la programmation et des projections. » J’aimerai dire que en tant que créateur de VOA, je me suis toujours abstenu de parler de festival pour insister sur le fait que ce n’était que des rencontres cinématographiques. J’espère aussi que tout le monde admirera la capacité exceptionnelle de Mr Ismaël de donner son avis sur une programmation et la qualité de films qu’il n’a pas encore vu, puis qu’il reconnait que la 3ème édition ne commence que le lendemain. Quand à l’idée claire et précise qu’il n’arrive pas à se faire, il suffisait d’aller surwww.viewsofamerica.com et lire l’éditorial que j’ai écrit, la présentation de l’évènement et la programmation détaillée (avec synopsis, fiches techniques des films et bandes-annonces) pour sortir de sa confusion d’idées. Visiblement, je ne suis pas le seul flemmard de Tunisie.
N’étant pas à une contradiction près, notre « critique» se pose des questions sur qui sont les organisateurs de la manifestation et nous dit que sur la première page du site, il y a un éditorial signé Hisham Ben Khamsa, organisateur. Il se pose même « les questions secondaires suivantes: dans quel but ? qui sélectionne les films ? et sous quels critères et ligne éditoriale ? A ces questions, l’on ne peut que faire des suppositions. » Alors voici quelques réponses rapides : 1/ Dans le but de voir des bons films ! 2/ Moi-même ! 3/ Le critère du cinéma Indépendant qu’il soit US ou pas et avec la ligne éditorial d’interpeller et de faire réagir les gens ouverts, de bonnes volonté qui ont des neurones !
Pour bien mettre en exergue ses doutes quand aux véritables organisateurs, il suggère que c’est l’Ambassade des USA à Tunis qui est derrière cela et que « l’ambassadeur (lui-même) s’en vante » d’après Wikileaks. Passons donc sur le fait qu’un diplomate de carrière dans une note diplomatique secrète qui ne doit être vue que par ses supérieurs fasse appel à la vantardise. Je rassure tout le monde que la seule participation de l’Ambassade est financière sous forme de subvention et qu’elle ne couvre même pas 10% du budget total pour les deux dernières éditions et qu’elle a été divisée par cinq pour la 3ème. Eh oui, contrairement à nous, les USA doivent faire face à une crise économique mondiale. Quand aux autres partenaires, derrière lesquels il voit la preuve de la « manipulation », c'est-à-dire le Presidential Commitee on the Arts and Humanities et le National Endowment for the Arts, ils sont les bailleurs de fond d’un programme international qui permet à des films de voyager. Par conséquent nous avions une obligation contractuelle de les faire figurer sur notre documentation. Ce qui me ramène à la réflexion suivante : Sacrés américains, qui nous infiltrent sournoisement, essayent discrètement de laver nos cerveaux et exigent de nous en plus de mettre leurs logos sur nos affiches. Heureusement que nous avons des spécialistes du contre-espionnage qui veillent au grain, autour de leurs chichas dans les cafés du quartier de La Fayette.
Pour revenir à notre « James Bond », il s’empressera dans la foulée de nous dire qu’il n’est pas « adepte de la théorie du complot ». Je ne sais pas vous, chers amis, mais je suis rassuré.
Ça pourrait s’arrêter là, mais il faut reconnaitre que notre ami a de la suite dans les idées, même si elles sont confuses. Il rajoute ensuite « Ayant vu presque la totalité des films précédemment projetés et voyant les films choisis cette année, je ne peux m’empêcher de penser qu’en définitive, il n’y a aucune sélection et aucune ligne éditoriale : c’est au petit bonheur la chance, c’est ce qu’on a bien pu avoir, c’est ce que l’American Film Institut ou la Sundance Institut a bien voulu nous donner, bien évidemment, avec l’aval de l’Ambassade des Etats-Unis à Tunis... » Heureusement que le bougre n’est pas adepte des théories du complot. Vous admirerez au passage le « ce qu’on a bien voulu nous donner »… Voila un tunisien qui a une très haute opinion de lui-même vis-à-vis des occidentaux.
Je vous fais grâce de la tartine pseudo-intellectuelle sur ce qu’il a dit lui-même lors des éditions précédentes, sur ce qui fait ou ne fait pas « le Cinéma Indépendant Américain » et qui nous illumine sur une certaine catégorie de gens qui se masturbe probablement en lisant les cahiers du cinéma et en rêvant d’être d’immense critique de film. Mais écrire d’une façon claire et structurée n’est pas donné à tout le monde, surtout quand on fait des erreurs de syntaxes et qu’on oublie les virgules et les majuscules des noms propres.
Notre « ami critique » a même trouvé la preuve de la futilité de notre démarche et le peu de cas que nous faisons du vrai cinéma indépendant, sérieux et engagé. La preuve, le « Smoking Gun » comme disent les scénaristes commerciaux de Hollywood est sur l’affiche de notre évènement cette année. C’est « un gros paquet de pop-corn et qui est en totale contradiction avec l’esprit même du cinéma indépendant, qu’il soit américain ou autre du reste ». Visiblement, quand on est militant, intellectuel et qu’on ne vous la fait pas, il faut aller au cinéma à jeun.
Pour info, la seule définition de Cinéma Indépendant aux USA est l’indépendance des grands studios Hollywoodien tels que Paramaount, Warner Bros, Disney ou Universal.
Pour m’assurer de pouvoir présenter de vrais films indépendants qui nous parlent tous sans sacrifier à la qualité, j’ai réussi à convaincre le Sundance Institute, organisateur du plus grand festival de films indépendant au monde de nous parrainer artistiquement. Oui, Le SUNDANCE de Robert Redford. Ça n’a pas été chose aisé mais j’ai réussi et je n’en suis pas peu fier.
Mais cela n’a pas beaucoup d’importance aux yeux de Mr Ismaël : « Au fond, le choix de films pour une écrasante majorité politiquement corrects, grand public et représentant une vision édulcorée des Etats-Unis est fort logique puisque l’on peut penser que cette manifestation est chapeautée par l’ambassade américaine (pour ne pas dire organisée par elle) dans un dessein purement diplomatique (comme énoncé clairement par l’ambassadeur dans sa correspondance câblée) »
Peu importe que le film d’ouverture « La Mission » parle d’un père latino macho, ancien chef de gang à San Francisco qui découvre que son fils est homosexuel. Le film Amreeka de la réalisatrice Américano-Palestinienne Cherien Dabis nous raconte la vie impossible d’une mère célibataire dans les territoires occupés qui immigrent aux USA avec son fils pour vivre le calvaire de la communauté Arabo-américaine au moment de l’invasion de l’Irak (un sujet qui doit surement rendre le gouvernement US confortable). Pour le film de clôture, nous avons programmé « Winter’s Bone » de Debra Granik, un polar néo-réaliste qui présente une Amérique rurale démunie, frappée de plein fouet par la crise, qui fabrique et vend de la drogue et s’assure que l’Omerta est la règle face à la loi. Pour info, ce film a gagné le prix spécial du Jury et le prix du meilleur scénario à Sundance 2010 et est actuellement nominé pour 7 Spirit Awards, les Oscars du Cinéma Indépendant US.
Le bilan de Views of America depuis trois ans, n’est pas trop mauvais non plus : Des films en VO que le public tunisien n’aurait probablement pas vu, des Masterclass qui ont permis aux étudiant d’écoles de cinéma de rencontrer des réalisateurs et des producteurs internationaux, une rencontre des représentants de Sundance avec les professionnels du cinéma tunisien et un concours de création audiovisuel, les deux dernières années qui a offert 20 caméras numériques à des jeunes tunisiens et a permit à six réalisateurs en herbes, bien de chez nous d’être invités à New York pour le Festival du Film de TRIBECA, oui celui de Robert de Niro.
Mais ce que j’ai trouvé le plus intéressant dans les élucubrations de Mr Ismaël, c’est la façon dont il saute du coq à l’âne pour se prouver de la justesse des ses théories. Je vous livre sa conclusion telle quelle, alors tenez-vous bien !
« Pour finir, quand on sait d’après les câbles diplomatiques que Sakhr El Materi voudrait lancer une franchise Mac Donald en Tunisie part l’entremise de l’Ambassade Américaine et que d’autre part Tunisiana, dont des parts importantes ont été rachetées par un consortium tunisien mené par le même Sakhr El Materi, est le « partenaire officiel » de Views Of America, l’on ne peut s’empêcher de penser que tout ça n’est qu’une mauvaise blague dont le cinéma n’en sortira pas grandit. »
Magnifique exemple de culpabilité par association et youppie pour la témérité politique ! Tout d’abord, mon partenariat avec Tunisiana date de deux ans et cette année était une tacite reconduction. Je ne connais pas Mr Sakhr El Materi et je n’ai donc aucune opinion de lui, ou alors je la garde pour moi.
La seule chose que je constate, c’est que Mr Ismaël suggère, que contrairement à lui, à cause de notre proximité physique avec l’ambassadeur US, nous sommes de traitres à notre pays.
Ce genre de diarrhée verbale serait au mieux risible et au plus ennuyeuse et j’y suis complètement imperméable. Je n’aurais même pas pris la peine d’y répondre s’il n’y avait pas autour de nous une conjoncture spéciale.
Facebook pour tous les avantages de libertés d’expression qu’il nous donne est aussi un terrain ou s’exprime les médiocrités les plus extrêmes. La preuve : Les campagnes d’appel à la haine et au crime contre Sawssen Maalej, Nouri Bouzid, Olfa Youssef et autres membres de la communauté artistique et intellectuelle tunisienne. Contrairement aux Talibans du Net qui ont l’avantage d’être clairs dans leurs intentions, les pseudo-révolutionnaires qui banalisent le rejet de l’autre, jouent un jeu bien plus dangereux et irresponsable parce qu'ils cautionnent d'une certaine manière les extrémistes.
Pour ma propre conclusion, j’ai été tenté de citer Destouches, contemporain de Voltaire et Diderot qui nous a donné la fameuse citation « La critique est aisée mais l’art est difficile » mais il aurait été obscène d’associer le Siècle des Lumières à cette logorrhée indigeste. Je m’en remets donc à l’adage populaire, plus approprié dans ce genre de situation et qui dit que « les chiens aboient et la caravane passe »
PS : Comme je suis un inconditionnel de la liberté d’expression, je vous mets le lien de l’article en question et vous vous ferez votre propre opinion, sans influence aucune. Et puis comme disent ces fichus Americans, source de tous nos problèmes : “If you want to prove that a fool is a fool, let him speak freely, he will do a very good job »