15 raisons de s’indigner sans l’aide de Sawssan Maalej, par Hisham Ben Khamsa*
Depuis quelques jours, une violence inouïe s’est emparée de la blogosphère, Facebook et même de la « presse » traditionnelle contre Sawssen Maalej, pour une réflexion à peine amusante faite en directe sur Nessma TV et faisant une allusion osée au caleçon de Fawaz Ben Tmessek, contenant et contenu. De même, Nessma TV s’en est pris violemment et personnellement à Samira Dami, pour un article qu’elle a écrit sur La Presse Magazine sur les chaines de TV privées et leur tendance à l’autopromotion malgré une programmation à peine moyenne et des taux d’audience poussifs. Le directeur de Nessma TV, Nabil Karoui, lors d’une conférence de presse a clairement indiqué : « Nous nous réservons le droit d’attaquer ceux qui nous attaqueront» Dans cet état de tensions exacerbées et de langage guerrier, le plus étonnant est le ton moralisateur et à la limite de l’intimidation contre Sawssen, dans une grande partie des commentaires sur Internet et surtout de la part des femmes. Le plus choquant, c’est la déferlante d’injures venant d’une nouvelle « milice » des bonnes mœurs qui se réclame de nos valeurs traditionnelles Arabo-musulmanes. Alors, je voudrais poser une question à tous les cul-bénis moralisateurs qui ne ratent pas une occasion pour parader sous nos nez leurs signes extérieurs de religiosité, leur morale supérieure et leur intégrisme chic. Cette question s’adresse aussi à tous les patriotes» qui pensent avoir le monopole de l’amour de la patrie et pour qui toute personne qui ne partage pas leur ferveur nationaliste, ne peut être qu’un traitre pro-sioniste, vendu à l’étranger, doublé d’un extrémiste musulman. Pouvez-vous nous dire très clairement ce que vous pensez de la violence permanente faite au citoyen dans sa vie quotidienne? N’est-elle pas bien plus violente qu'une blague salace faite à la télé ou une allusion sexuelle grossière entendue à la radio et je ne parle pas uniquement de la violence verbale faite à une jeune et jolie fille dans ses habits branchés, qui se rend en cours. Je parle de l'automobiliste qui brule un feu rouge et qui vous insulte pour vous dire qu'il est le plus fort, je parle du tout petit fonctionnaire de la municipalité qui vous demande de revenir demain pour un papier qu'il peut signer sur le champ. Je parle du haut responsable arrogant et imbu de sa personnalité, qui violente ses subordonnés et qui soudain se transforme en limace rampante et obséquieuse dès qu’il s’adresse à un responsable plus haut placé que lui et ainsi de suite, au fur et à mesure que l’on gravie les marches de l’échelle de la fonction publique. Je parle du policier qui arrête un automobiliste qui a juste ralenti au Stop et qui lui annonce que son infraction mérite un PV tout en le laissant libre d’évaluer la valeur marchande de son infraction alors que passe un bolide aux vitres fumées et à la plaque d’immatriculation à peine lisible, conduit par un gamin gominé. Je tiens à parler de l’imam, qui chaque vendredi, invective les croyants en leur promettant les feux de l’enfer et la damnation éternelle. Que pensez-vous de cette forme de violence ? Je vous parle de la violence faite à des écoliers qui porte sur le dos des cartables de dix kilos et qui courent sous la pluie ou sous le soleil, derrière un bus jaune de la SNT dont le chauffeur sadique s’arrête 30 mètres après l’arrêt et redémarre dès que ces gamins essoufflés sont sur le point de monter dans le bus. Je vous parle de la violence faite par l’infirmière de la fonction publique qui clame à haute voix devant les patients qui poireautent depuis des heures dans la salle d’attente, qu’elle voudrait bien que quelqu’un lui achète une carte de recharge Tunisie Telecom de 5 dinars. Pensez-vous que la violence qui déferle sur nos stades à une quelconque relation avec la façon dont sont traités nos jeunes par les gardiens de l’ordre autour de ses mêmes stades ? Je voudrais votre avis sur la pression psychologique qui s’exerce sur les élèves de 4ème année primaire, qui une année ont un concours, l’année suivante n’ont plus de concours et l’année d’après ont à nouveau un concours. Et puisqu’on parle d’éducation, que pensez-vous de la violence verbale et physique faite aux professeurs par des adolescents de 14 ans ? Quelle est votre avis sur les chefs d’entreprise à cigare qui roulent dans des véhicules à 200 millions acheté grâce à un crédit consenti par une banque étatique, sans garanties ? N’est ce pas là une violence faite au contribuable qui paye ses impôts ? Et puisqu’on est sur le sujet des impôts et de leur utilisation, que pourriez vous dire aux gens qui habitent aux N° 7, 9 et 11 de la rue de la commune à l’Ariana dont la chaussée crevassé est digne de Bagdad ou de Kaboul alors que la chaussée parfaitement goudronné s’arrête devant le N° 5, soit 30 mètres après le siège du gouvernorat de l’Ariana. Vous pouvez vérifier vous-même, je n’invente rien. Je pourrais continuer mais je ne voudrais pas avoir l’air de me lamenter. Personnellement, je pourrais m’en désintéresser totalement. A 50 ans, j’ai relativement bien réussi ma vie. Je fais un métier qui me passionne et qui me permet de gagner confortablement ma vie. J’ai une jolie famille, mes enfants sont équilibrés et j’ai la chance de leur offrir une bonne éducation. J’habite dans notre villa à La Marsa, ce qui est un privilège en soit et je voyage 5 à 6 fois par an. Alors, pourquoi toute cette violence m’angoisse t’elle ? Tout simplement, parce que je constate que dans cette Tunisie qui a toujours été pacifique et où nos parents ont toujours réglés leurs problèmes à l’amiable et dans le civisme le plus absolu, il ya une nouvelle tendance très grave qui est en train de s’ancrer d’une manière subliminale dans l’esprit des gens : Il vaut mieux être craint que respecté, quitte à être violent. J’ai assisté hier à une conférence scientifique, où un professeur de psychiatrie disait que la maladie qui progresse le plus rapidement en Tunisie est la schizophrénie. Est-ce là un signe des temps ? Le slogan officiel dit : Tunisie, Terre de dialogue, mais c’est plutôt une cacophonie et personne n’a le courage ou la lucidité d’appeler un chat, un chat. Alors si tout va bien, forcément il n’y a aucune nécessité de diagnostiquer quoi que ce soit et donc de dialoguer. D’ailleurs, n’en déplaise aux esprits chagrins, force est de constater qu’il n’y a plus de véritables intellectuels. Le ciment dont nous avons vraiment besoin aujourd'hui n'est pas le nationalisme primaire de pacotille mais plutôt le civisme au sens Romain du terme; c'est à dire vivre ensemble égaux et sereins dans la Cité. Je lisais dernièrement que la meilleure façon de savoir si une société était avancée, il suffisait de constater l’état de santé de trois corps de métiers uniquement. Les journalistes, les métiers de la justice (juges et avocats) et les artistes. Je vous laisse tirer vos propres conclusions. En décembre dernier, j’ai offert un voyage à New York à mes deux fils et ils ont visiblement été émerveillés. Dans l’avion du retour, j’ai demandé à mon ainé Omar qui n’a que 13 ans, ce qui l’avait le plus impressionné en Amérique. Il m’a répondu : Les gens sont souriants et disciplinés. Vous vous rendez compte, ce qui l’a marqué le plus, chez le grand Satan qui est la cause de tous nos problèmes, ce n’est ni les gratte-ciels, ni les autoroutes à six voies. C’est que les gens sont souriants et disciplinés. Finalement, ça doit être ça un pays civilisé ! *Hisham Ben Khamsa est organisateur des Rencontres du Cinéma Indépendant Américain de Tunis «Views of America »